Retour psychosocial sur les BelleBox de Noël 2020

Le Banquet de Noël de BelleBouffe réalisé pour la première fois en décembre 2019 n’a pas pu se renouveler cette année en raison de la crise sanitaire. Il s’est donc réinventé. En décembre 2020, les BelleBox de Noël voient le jour : des paniers gourmands solidaires et anti-gaspi réalisés de manière participative et inclusive.

Majoritairement à destination de jeunes en situation de précarité et/ou d’isolement, elles sont proposées à toutes les personnes souhaitant soutenir cette action. Du 12 au 19 décembre, ce sont 42 habitants et nouveaux arrivants qui ont fabriqué une centaine de BelleBox à partir de produits locaux et bio.

Plusieurs ateliers participatifs, avec des bénébouffes et participants externes venant des associations partenaires (Terramies, AMIE et CIDFF), ont ainsi eu lieu pour réaliser les BelleBox de Noël. Pendant et suite à ces moments de partage, BelleBouffe a pu observer la mise en œuvre de processus psychosociaux, que nous allons vous présenter dans la suite de cet article.  

Création de nouveaux liens de sociabilité et de solidarité 

Ce qui est ressorti en premier dans les BelleBox et qui a le plus plu chez les bénévoles est l’échange, en particulier avec des personnes avec qui ils n'avaient pas l’habitude d’échanger et qu’ils n’auraient jamais rencontré sans ce projet. Ce sentiment est réciproque chez les participants externes, venant de Terramies, AMIE et du CIDFF. Nous pouvons le voir chez Samaa et Morteza, qui pour résumer la semaine des BelleBox, ont choisi de parler des relations créées : “Si tu devais résumer ta participation en trois mots tu dirais? - Créer des relations avec des personnes extraordinaires”  (Samaa) / “Si tu devais résumer ta participation en trois mots tu dirais? - Rire, bonheur, rencontrer les nouveaux gens” (Morteza). Et de fait, les BelleBox ont permis une mixité sociale sur le plan culturel, mais aussi générationnelle, comme nous le signale Myriame, une bénébouffe.  

Au fur et à mesure de la semaine, on a vu se développer un sentiment d’appartenance au groupe. Les bénévoles et bénéficiaires des associations partenaires sont tous revenus au moins une fois. Certains ont même participé tous les jours, comme Samaa, Hassan, Sebastien, Morteza… Quand nous avons demandé à Sébastien : “Pourquoi tu aimes bien être ici?” il a répondu : “Parce qu’ici tout le monde est très gentil.” Il en est de même pour Hassan, qui suite à la question :  “Est ce que tu aimerais refaire des ateliers comme ça?” a dit : ”Oui tous les jours.”. Nous lui avons alors demandé pourquoi et voici ce qu’il a répondu : “Quand on est ici c’est une bonne journée. On retrouve l’idée d’une ambiance bienveillante et “conviviale”, comme le souligne Adeline, au sein des ateliers, qui procure un sentiment de bien-être chez les participants. 

Cette ambiance positive amène à son tour une augmentation de la confiance des uns envers les autres, avec de plus en plus d’échanges, de partage et de dialogues sur soi, son récit de vie. Au début, il était difficile de créer un contact, encore plus avec la barrière de la langue, comme le signalent les bénébouffes Elsa : “Parfois j'ai été un peu frustrée de ne pas trouver les mots pour échanger avec les jeunes qui étaient présents avec nous…” et Aurélien “Il y a surement eu plus d’échanges à la fin”, versus à la fin il y a eu beaucoup d’échanges et des jeunes qui ont commencé à parler par eux-même. Marylène, bénébouffe, dit après coup qu’une des choses qu’elle a préféré pendant les BelleBox était de pouvoir “Discuter avec eux autour de sujets qui nous rapprochent”. Ce verbatim illustre bien les liens et les relations de confiance qui se sont formés. 

Nous pouvons supposer que, grâce à ce sentiment d’appartenance et l’augmentation de la confiance, des liens durables se sont créés entre les différents participants. Certains ont adhéré à l’association, comme Morteza et Samaa. D’autres se voient encore, même après la semaine des BelleBox, comme Martin, Elise et Hassan, qui suivent des cours d’Arabe toutes les semaines avec Samaa. Il y a également eu des échanges de numéros de téléphone pour pouvoir se recontacter. Et pour finir, suite aux BelleBox, Myriame a logé deux Mineurs Isolés Étrangers chez elle. Marylène finit par parler de valeurs communes, d’une cause commune qui unit tout le monde. Par conséquent, la plupart disent que ces liens créés ont permis la réussite du projet, comme la bénébouffe Justine qui parle d’un “effet de groupe” ou encore Guillaume qui dit que le processus de création des boîtes était beaucoup plus important finalement que le résultat.  

Malgré tous ces effets positifs, il faut se questionner sur les limites rencontrées aussi lors des ateliers participatifs des BelleBox. Revenons sur la difficulté à créer des liens au début de la semaine ou encore sur les manques de liens qui se sont créés avec certains jeunes, qui ne sont pas revenus. S'ensuit une interrogation sur la possibilité de créer des liens plus rapidement. L’une des hypothèses serait d’inclure les bénéficiaires encore plus tôt dans la boucle, dès les moments de réflexion et de récolte de matières premières, comme nous l’avons fait avec les bénébouffes. Toutefois, il ne faut pas négliger les difficultés de la langue, surtout en visioconférence (espérons que cela ne soit pas le cas en 2021). Dans ce cas, une autre idée serait de faire plus d’ice breakers et sous plusieurs formes, non pas que par le langage verbal. 

Au niveau de la communication, l’autre problème qui est ressorti est l’arrêt brutal des contacts et donc des liens entre participants une fois la semaine finie, ainsi que la communication avec le public de BelleBouffe, notamment les donateurs. La solution qui est ressortie serait une diminution plus progressive de la communication autour du projet. Et puisque nous sommes sur les difficultés rencontrées au niveau du lien, plusieurs bénébouffes ont relevé également un manque de lien pendant la distribution des BelleBox. A part les bénéficiaires ayant participé à la création, les autres receveurs n’ont créé aucun lien avec l’association. Parfois, l’identité du receveur ne nous est même pas connue. Nous nous sommes donc dit que cet aspect là était à revoir, par exemple, en ciblant de manière plus spécifique les bénéficiaires de chaque boîte. 

Sentiment de co-construction du projet qui permet une augmentation du pouvoir d’agir 

“Tout le monde mettait la main à la patte et était super motivé pour cette cause” Marylène 

L’objectif de BelleBouffe était de co-construire le projet des BelleBox de A à Z. On retrouve une implication des bénébouffes dès la réflexion, comme l’indique Elsa : “J'ai aussi apprécié le fait qu'il y ait un juste milieu entre consultation de nos avis et avancées de votre côté (par exemple pour la réunion de lancement vous aviez déjà vos idées et on a pu compléter avec les nôtres)” Nous pouvons supposer aussi que le fait de demander régulièrement les avis et conseils de la part des bénévoles sur les différentes prises de décision et actions menées, a permis de développer leur conscience critique. 

La co-construction s’est faite durant les réunions mais aussi et surtout grâce au Slack et aux documents partagés, qui ont permis une circulation libre de l’information et par conséquent une implication de tous les membres qui le désiraient. Les informations étaient données en direct, comme par exemple la récolte de dons mise à jour par Coralie sur Slack, ou encore les données entrées dans les tableaux excel par les bénévoles pour les dons de matières premières, ainsi que la messagerie instantanée, qui a permis un échange d’informations fluide avec beaucoup de questions/réponses. 

En plus de cela, la récolte de dons collective permet aux membres d’avoir le sentiment de pouvoir apporter des solutions face aux difficultés de l’association, puisque nous devions récolter de grandes quantités en peu de temps, ce qu’on a réussi grâce aux bénévoles très investis. 

Tout ceci permet une valorisation du groupe par les compétences de chacun et vice versa, comme le souligne Elsa : “J'ai été super impressionnée de voir ce qu'on avait réussi à faire en 4 semaines, comme on a fait la première réunion début décembre j'avais l'impression que la tâche était tellement grande (financement, approvisionnement, organisation de la semaine de cuisine...) que c'était presque irréaliste... et bien je me trompais, alors bravo de nous avoir emmené dans ce projet”. De voir qu’on est capable, par l’investissement de chacun et la cohésion du groupe, de monter des projets tels que les BelleBox en un laps de temps réduit, augmente le sentiment d’auto-efficacité du groupe et de chaque individu qui le compose et donc l’estime de soi. 

Toutefois, nous n’avons pas réellement eu de co-construction du projet des BelleBox avec les bénéficiaires des associations partenaires. Ils n’ont pas été impliqués dans la récolte de dons et de matières premières, dans les temps de réflexion collectifs, ni dans la préparation de la semaine. Il serait intéressant de voir si leur investissement peut venir encore plus tôt dans la construction des BelleBox.

Nouvelles connaissances  

L’idée avec les BelleBox était aussi de faire découvrir de nouvelles choses aux participants. Certains bénéficiaires venaient d’ailleurs aux ateliers avec cet objectif en tête, comme Sangare : “Je suis venu participer à l’association pour connaître quelque chose.” Ce que Sangare a répondu ensuite montre que son objectif a été atteint selon lui : “Est ce que t’aimerais participer à d’autres choses comme ça? - Oui - Pourquoi? - Parce que comme ça tu peux connaitre beaucoup de choses dans ta vie.” 

Dans le mini entretien avec Mohamed, on voit que les BelleBox lui ont permis de découvrir la confiture et comment la faire : “Qu’est ce que t’as fais? - J’ai nettoyé des légumes, des pommes, des poires pour faire je sais pas comment on appelle… - Une confiture? - Une confiture oui. J’aime bien j’ai goûté c’est très bon, ça m’a plu beaucoup oui.” Nous pouvons penser que les ateliers ont permis d’introduire, par ces nouvelles connaissances, de nouvelles pratiques chez certains participants, comme chez Mohamed qui a dit qu’il aimerait bien refaire de la confiture chez lui. De plus, chaque bénéficiaire a reçu une BelleBox à la fin, dans laquelle se trouve toutes les recettes ayant été faites durant la semaine, ce qui leur permet de les reproduire chacun de leur côté. 

BelleBouffe pensait surtout aux connaissances autour de l’alimentation, l’anti-gaspi, le zéro-déchet, de développer la créativité… mais finalement l’un des éléments les plus importants et bénéfiques, pour les individus des associations partenaires, était la possibilité de parler le français et de découvrir la culture française. C’est le cas de Morteza : “Qu’est ce qui t’as donné envie de participer? - J’aime beaucoup aider les gens et j’aimerai rendre les gens heureux et je veux parler plus en français.” et de Samaa : “Qu’est ce qui t’as donné envie de participer? - Moi j’ai cherché un travail de bénévolat, j’aurai aimé connaitre de près la vie française.” 

Pouvoir aider les autres : développement de l’estime de soi par la valorisation des compétences et augmentation du pouvoir d’agir individuel 

Autant les bénévoles que les bénéficiaires externes se sont sentis mis en valeur pendant les ateliers des BelleBox, comme Marylène et Justine qui disent s’être senties utiles et Mathilde qui dit avoir eu un “sentiment d’action/ d’engagement”, mais aussi Sébastien qui était fier de dire “J’ai fait beaucoup de travail” ou encore Sadio qui souligne “On a fabriqué pleins de choses.” 

Certains jeunes, comme Sadio et Morteza, sont venus spécifiquement parce que les BelleBox leur offraient la possibilité d’aider les autres. Quand on a demandé à Sadio “Et pourquoi tu es venu ici pour faire tout ça? il a répondu “Je suis venu ici pour l’association, pour faire de l’aide, pour participer pour un bon noël cette année.” Voici ce que Morteza a dit à son tour : “Qu’est ce qui t’as donné envie de participer? - J’aime beaucoup aider les gens et j’aimerais rendre les gens heureux et je veux parler plus en français.”  

Le fait de participer à la création des BelleBox, de voir l’évolution, l’avancée au fur et à mesure de la semaine grâce à leurs efforts, le résultat et la distribution en direct de leur travail final, les a rendus satisfaits de leur travail et donc d’eux même. Nous pouvons le voir chez Sadio : "Ça m'a fait plaisir, aider c’est bien. Je suis très content du résultat.” ou encore Samaa “Est ce que t’aimerais participer à d’autres actions comme celles-ci? - Oui bien sûr car j’aime la réalisation, le résultat. C’était une bonne expérience.” Nous pouvons alors émettre l’idée que les ateliers des BelleBox ont permis d'augmenter le sentiment d’auto-efficacité des participants. 

Pour conclure cette partie, on peut rattacher les ateliers des BelleBox à l’idée de don et contre-don développée par Marcel Mauss, selon laquelle il est important d’avoir de la réciprocité pour pouvoir se sentir appartenir à un groupe et/ ou une société. L’idée est de savoir recevoir mais aussi donner et/ ou rendre quelque chose. Par exemple, BelleBouffe a donné la possibilité à Samaa de pratiquer son français et en retour elle nous a proposé des cours d’arabe. Le fait d’avoir inclus ceux qui reçoivent la boîte dans sa conception a permis de créer l’effet du contre-don face au don de la BelleBox et c’est ça qui a donné le sentiment aux participants externes d’appartenir au groupe, ce qui à son tour a  instauré un climat de confiance, d’échange et de création de liens. C’est également cet effet don/ contre don par les ateliers qui a augmenté le pouvoir d’agir chez les individus. En effet, celui qui donne est en position de force sur le plan social et affectif, mais grâce au contre-don, celui qui reçoit reprend une forme de pouvoir sur son donneur. Le don/ contre-don permet alors de trouver un équilibre entre les différents individus et différentes sphères sociales. 

Conclusion

Sur le plan psychosocial nous pouvons voir que le projet des BelleBox était enrichissant, comme le témoignent les bénébouffes mais aussi les bénéficiaires des associations partenaires. Les ateliers, qui ont été organisés et faits en co-construction, ont permis la création de nouveaux liens durables, de faire découvrir de nouvelles choses aux participants et d’augmenter leur pouvoir d’agir grâce à la possibilité offerte d’aider les autres, de mener une “belle action” solidaire. 

👉 Pour découvrir en image le projet, ça se passe ICI

👉 Pour voir le bilan général sur les BelleBox de Noël c’est ICI

Bibliographie 

  • Imagineo. (juillet 2019). Ma planète, mon quartier. L’expérimentation pédagogique “Ma planète, Monplaisir” : les initiatives que nous portons. Projet repéré à : 

http://www.imagineo.org/wp-content/uploads/2019/09/IMAGINEO-Bilan-Ma-plan%C3%A8te-Monplaisir.pdf 

  • Marie Bonici. (3 décembre 2014). Le don et le contre-don. 1/ Des échanges très actuels. Article repéré à : 

http://www.sociologieenpratiques.org/le-don-et-le-contre-don-1-des-echanges-tres-actuels/ 

  • Resolis. (novembre 2020). Recherche participative et sciences en société. Retour sur l’expérimentation sociopôles en métropole de Lyon et mise en perspectives. Page 21 à 25 : Inclusion et pouvoir d'agir des personnes migrantes. Journal repéré à : 

https://www.pearltrees.com/s/file/preview/232720752/80_20201117_resolis_23_vbap_compressed.pdf?pearlId=335737307